Azarias feat. Benedict Cumberbatch ψ Carpe Diem

Une petite histoire dans la grande histoire.

Ambrosios était un homme comme les autres. Citoyen d’Éleusis, il vivait du commerce et avait gagné le respect de ses pairs. Cette vie, aussi simple et banale puisse-t-elle être, lui convenait à merveille. Jamais Ambrosios n’avait rêvé de gloire ou de pouvoir. Guère ambitieux, il se contentait très bien de ce qu’il possédait. Jusqu’à cette apparition qui changea sa vie du tout au tout. Un homme – en était-ce seulement un ? – qui par ses mots et son étrange aura l’a convaincu qu’il pouvait être bien plus que cela s’il s’en donnait les moyens. Il lui a parlé de la magie et des puissants pouvoirs qu’elle conférait à ceux sachant l’apprivoiser. La curiosité attisée par une force qui le dépassait, Ambrosios fut rapidement séduit par cette idée. Sans abandonner totalement toute son ancienne vie, il choisit pourtant de dédier une bonne partie de celle-ci aux arts magiques. C’est ainsi qu’il fit la rencontre de la déesse Hécate, probablement attirée par ses activités. Un duo impromptu qui marqua le début de la longue épopée d’Azarias.

Fruit  de l’union entre Ambrosios et la divine Hécate, Azarias est né à Éleusis, en Grèce, il y a des siècles de cela. Une enfance si lointaine qu’il n’en n’a finalement conservé que bien peu de souvenirs, préférant les refouler, au profit de moments bien plus joyeux. Il se souvient qu’il détestait – pire, il haïssait ! – son père. Ce dernier avait conscience de la nature de son fils et donc, de son potentiel magique. En ce sens, il ne l’a jamais considéré comme un enfant, ni même comme son fils. Pour lui, ce n’était là qu’un cadeau d’Hécate pour ses aptitudes. Un cadeau qu’il s’est empressé de déballer. Dès le plus jeune âge d’Azarias, son géniteur a tout fait pour qu’il développe ses dons. Sans hésitation et à plusieurs reprises, il a mis la vie de l’enfant en danger, juste pour le pousser au-delà de ses limites et du raisonnable. Juste pour voir comment il réagissait face à des situations aussi extrêmes. Sauf que durant des années, ça n’a absolument rien donné.

C’est à l’adolescence, vers ses quinze ans, qu’il s’est enfin définitivement libéré de cet homme. Ambrosios tentait une nouvelle fois de repousser les limites du jeune homme – des souvenirs oubliés par son esprit mais certainement pas par son corps. Ce jour-là, il a définitivement failli rejoindre le royaume d’Hadès tant l’homme semblait à bout de patience après quinze années sans résultat concret. Subissant les choses innommables que cet être indigne d’être appelé « père » lui faisait endurer, Azarias se sentait partir. Et sans doute n’aurait-il jamais rouvert les yeux s’il n’avait pas eu cet ultime réflexe. Il y a eu des picotements au bout de ses doigts, si forts qu’ils ont été en mesure d’éveiller de nouveau sa conscience. Et sans qu’il ne sache d’où ça lui est venu, il s’est mis à dessiner un symbole sur le sol. Un dessin qui, une fois terminé, a eu pour effet de violemment projeter son géniteur contre un mur, le tuant sur le coup. En état de choc, Azarias ne se souvient que du noir après cet événement, encore aujourd’hui. Il n’a jamais eu envie de se rappeler cet instant et remercie parfois les dieux de l’en préserver.

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La seule chose qu’il serait en mesure d’expliquer, c’est qu’après cette période, ça a été comme une renaissance pour lui. D’abord, il a cherché à savoir qui il était, pourquoi il pouvait faire ça et ce que c’était. Pour se découvrir, il a parcouru la Grèce en long, en large et en travers ; allant d’îles en îles et de villes en villes. Une sorte de grand voyage initiatique qui lui a fait le plus grand bien. Des années durant, il a pu découvrir les réalités d’un monde qu’il ne connaissait jusqu’alors pas du tout. Un monde dissimulé à sa vue par la faute d’un homme. Il a vécu, Azarias. Pour la première fois depuis toujours et durant quelques années. Il a fait des rencontres, découvert de nouvelles personnes. Il commençait à apprivoiser son pouvoir et à mieux comprendre ses origines malgré certaines zones d’ombre persistantes. Il se sentait plus… libre. Du moins, le pensait-il. Il ne se rendait pas compte d’à quel point il pouvait encore tout ignorer. Sa vie bascula une nouvelle fois à ce moment-là, quand il fit la rencontre de cet être. Pas un homme, pas une créature… un dieu. Il faut dire qu’il l’a provoquée, cette rencontre. Dans les vieux papiers de son géniteur, certains écrits contenaient son nom : Chronos. La personnification du temps n’était certainement pas notée là par hasard. Il pourrait sans doute le renseigner sur ce qu’il cherchait. Azarias avait pris goût à l’étude des runes, à l’approfondissement de ses pouvoirs et plus généralement, au savoir dans sa globalité. Il lui fallait du temps. Plus de temps. Et qui mieux que Chronos pour en donner ? Alors il a creusé, plus profond encore qu’il ne l’avait jamais fait. C’est là qu’il les a dénichés, ces rituels qui permettaient de le faire apparaître ici, dans ce monde. Il a tout mis en place, tout minutieusement préparé dans les moindres détails. Parfois, il s’est même repris dans ce qu’il faisait afin d’être certain de ne pas commettre une erreur. Puis, le moment fatidique arriva. Il suivit le rituel dans toutes ses étapes, les unes après les autres. Avant d’entamer la dernière, il prit le temps de respirer un bon coup avant de faire ce qu’il fallait. S’il put envisager un instant d’avoir commis une faute quelque part, ses doutes s’envolèrent lorsqu’un « inconnu » lui fit soudainement face – quoi qu’il eut quelques doutes en voyant le nouvel arrivant sautiller sur place et agiter ses bras comme s’il s’échauffait.

« C’est donc ça, être réel. C’est intéressant.
– Chronos.
C’était forcément lui, il ne pouvait pas s’être trompé.
– Tu en as mis… du temps pour venir à moi. »

La réflexion interpella Azarias qui n’attendit pas pour lui demander comment il avait pu savoir qu’il finirait par venir à lui. Brièvement, le dieu lui raconta comment il avait habilement persuadé Ambrosios qu’il pouvait être bien plus qu’un simple marchand, comment il l’avait mené à s’intéresser aux arts occultes et à rencontrer Hécate. Comment… tout ceci devait mener à la naissance d’Azarias qui dut assimiler que sa venue au monde avait été anticipée de longue date. Il dut comprendre qu’il n’était finalement que le résultat, la concrétisation d’un caprice d’une divinité désireuse de découvrir le fonctionnement et les pratiques d’êtres qu’il doit probablement jugés inférieurs.

« C’est ça, la vérité de ton existence. Tu es né pour moi. »
– Et si je refuse ?, comme s’il avait l’intention de le faire alors que le dieu offre ce ce qu’il a désiré.
– Un claquement de doigt et tu disparais. Réfléchis bien. Je t’offre l’éternité, Azarias. Un cadeau unique. L’éternité contre l’apprentissage de la vie humaine. Ce n’est pas cher payé. »
Un flottement dans l’air, un silence si pesant qu’il semblait durer pendant des heures ; ce qui, vu l’être qui lui faisait face, était loin d’être impossible.
« J’accepte.
– Banco ! »

Il était alors bien loin de se douter de tout ce que ça allait réellement impliquer dans sa vie. Qu’importe… désormais, retourner en arrière était impossible.
Il aura suffi d’un mot pour sceller son destin. Un mot et une envie dévorante de savoir.

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Dès lors, il a fait ce que le dieu attendait. Azarias a commencé à lui apprendre le fonctionnement des êtres humains, à tous les niveaux. Leurs coutumes, leurs réactions, leurs divertissements… En échange, Chronos a tenu sa propre promesse de le rendre immortel. Grâce à cela, Azarias a pu se rendre dans des contrées qu’il n’aurait jamais pu observer dans une vie humaine. Grâce à cette longévité, il a pu avoir vent de l’existence de ces « barbares » venus du Nord pour piller les terres de Francie et d’Angleterre. Mais ce n’étaient pas leurs actions, aussi horribles soient-elles, qui ont éveillé l’intérêt du demi-dieu à l’époque. Ils étaient décrits comme un peuple païen qui vénérait des dieux comme lui avait pu aimer les siens. Un point commun, une ressemblance qui l’avait poussé à se rendre sur ces terres. Un choix avisé puisqu’il n’a jamais autant appris sur les runes qu’à cette période. Elles étaient très importantes dans leur culture et leur plus grand dieu, Odin, fascinait Azarias. À l’instar du Grec, celui qu’ils surnommaient le « Père de Tout » était un dieu avide de savoir. Et selon les légendes de ce peuple, il en est venu à se pendre par les pieds pendant neuf jours et neuf nuits à l’arbre Yggdrasil, avec une lance plantée dans les côtes. Tout cela pour acquérir des connaissances. Un exemple pour Azarias qui décida de vivre parmi eux, apprenant leur culture, leur langue, leur culte ; tout ce qui pouvait attiser et satisfaire sa curiosité. Et puis, il y a eu cette femme, le seul paramètre qu’il n’avais pas pris en considération. Le seul point qui n’aurait jamais dû lui échapper, et pourtant…

« Tu sais tant de choses... Il faudrait plusieurs vies pour assimiler tout ce que tu sais.
– Une seule suffit si elle est très longue., rétorqua Azarias, penché sur elle. Sourire aux lèvres, la malice dans le regard, il vint coller sa bouche à la sienne pour l’embrasser amoureusement. »

Rannveig, fille du jarl du village qui a su se frayer un chemin jusqu’au cœur pourtant endurci par déjà un millénaire d’existence. Elle n’est pas la première qu’il a sincèrement aimée – ni la dernière – mais elle fait sans aucun doute partie de ceux qui l’ont marqué. Ses cheveux à la couleur des blés, ses yeux au bleu d’un ciel d’été en Grèce et ses traits qu’il jugeait raffinés malgré ses aptitudes de combattante aguerrie – bien plus qu’il ne saurait jamais l’être. Tout ceci a fait qu’il n’a pas su rester à l’écart. Il a vécu des années heureuses avec elle. Des années pendant lesquelles il s’est peut-être finalement un peu oublié. Mais sa nature et la vie ont fini par lui rappeler que ça ne pouvait pas durer. Elle a fini par tomber malade et elle en est morte quelque temps plus tard… Dans l’ombre, il a assisté à son dernier voyage, meurtri. Pour lui, pour elle parce qu’il savait que ce n’est pas ainsi qu’elle aurait aimé partir. Ce n’est pas ainsi qu’elle aurait dû partir. Les larmes au bord des yeux, une peine impossible à contenir, Azarias n’entendit pas celui qui s’approcha dans son dos avant qu’il n’en vienne à se manifester.

« Après tout ce temps, vraiment ?
– De quoi tu parles ?, répondit le demi-dieu sans même se retourner, sachant très bien qui se trouvait à ses côtés.
– Plus de mille ans se sont écoulés et ça te touche encore. Je ne comprends pas. »

Ah, c’était donc ça. Il voulait une leçon et même si la question posée fut légitime, elle était inappropriée en cet instant. Jusque-là, Azarias avait toujours pris soin de ne pas s’attacher, pas à un tel niveau. Il s’était toujours débrouillé pour disparaître de la vie de ces hommes et de ces femmes avant d’atteindre un point de non-retour. C’était compliqué pour lui et c’était égoïste mais il savait pourquoi il agissait ainsi. Ce qu’il endurait à ce moment précis le lui rappelait violemment. Il n’a pas su s’arrêter avant. Ou plutôt, il n’en n’a pas eu l’envie.

« Je voulais ressentir ça. Juste une fois.
– Quoi donc ? La peine, la souffrance, la douleur ?
Il ne s’attendait pas à ce qu’il comprenne aussi facilement.
– L’amour., dit-il en regardant au loin, les ultimes étapes du dernier voyage de cette femme qui a partagé sa vie des années durant. Notre passage sur Terre est éphémère. Alors nous devons trouver une utilité au temps qui nous est alloué dans ce monde. Vivre ses sentiments  – quels qu’ils soient – de manière intense est une raison valable pour beaucoup d’entre nous. Se lier à quelqu’un, c’est une façon d’exister. On se rend utile pour l’autre et parfois, ça nous aide à réaliser des exploits. Et là, on se dit que peut-être, notre vie vaut quelque chose. Je… je voulais juste essayer. Parce qu’une partie de moi reste humaine.
– Et maintenant que tu en as fait l’expérience, quel est ton verdict ?
– Plus jamais. »

Plus tard, il apprit qu’elle était enceinte. Une double peine pour Azarias qui perdit son amour et un fils. Il n’eut même pas la force d’évoquer la douloureuse idée qu’elle ne put prétendre au Valhalla, du fait des circonstances de son décès. Après cela, Azarias quitta les terres du nord pour reprendre sa quête de savoir à travers un monde qu’il connaissait mieux.

Ses paroles, il ne les a jamais oubliées durant le millénaire qui a suivi et même encore aujourd’hui. Il a eu d’autres aventures mais chaque fois, il s’efforçait de les abandonner d’une façon ou d’une autre, quitte à se faire haïr par ces personnes qui l’aimaient peu de temps auparavant. Quitte à passer pour le pire enfoiré que cette Terre ait jamais porté. Si se détacher a été difficile, il a fini par s’y faire – du moins s’en est-il persuadé par la suite. Il passerait l’éternité avec Chronos ou en tout cas, jusqu’à ce que la divinité estime ne plus avoir besoin de lui. Et ça aussi, il a fini par l’accepter. En attendant que ce jour arrive hypothétiquement, il s’est concentré sur ce qui l’a dirigé vers Chronos autrefois : le savoir, les connaissances et l’amélioration constante de ses dons en magie. C’était tout ce qui comptait. Tout ce qui aurait toujours dû compter.

Dans cette optique, il a beaucoup aimé la période de la Renaissance. La découverte de ce Nouveau Monde à la fin du XVème siècle et la remise au goût du jour des anciens écrits antiques qu’il connaissait bien ont rendu cette période très prolifique pour le demi-dieu. Il a eu la chance de côtoyer des grands noms de cette époque, qu’ils fussent littéraires, artistiques ou scientifiques. Il a même voyagé à plusieurs reprises en direction du Nouveau Continent, tenant à voir tout cela de ses propres yeux. Et il n’a jamais été déçu. Il serait parfois presque nostalgique de ces siècles tant il a été marqué par ces derniers. Mais il a fallu leur dire au revoir et passer à autre chose. Si Azrias a connu nombre de guerres dans sa vie, celles des générations qui ont suivi n’ont jamais rien eu à envier aux anciennes, bien au contraire. Il a connu la Révolution française et son immense impact à travers toute l’Europe. Il a connu les guerres entre la France et la Prusse. Et au sommet de tout cela, il n’a jamais pu oublier les horreurs perpétrées par les deux guerres mondiales. Des massacres insensés au nom d’il ne sait trop quoi. Dans tous les cas, il a toujours tout fait pour ne pas s’embarquer dans ces conflits. Azarias n’a jamais été un combattant – c’est à peine s’il sait donner un coup de poing convenablement – et il n’a jamais voulu l’être.

Et puis, il ne sait trop pourquoi, il s’est de nouveau senti attiré par sa terre natale. Comme si la Grèce l’appelait à revenir au bercail pour une raison précise mais encore floue dans son esprit. Il aurait pu ignorer cet appel, poursuivre sa vie comme il l’avait toujours fait. Mais c’était si fort, si insistant qu’il a fini par revenir au pays pour s’établir à Athènes. Ce n’était certes pas la cité où il avait vu le jour mais il sentait que c’était à cet endroit qu’il devait être et non un autre. Il s’y est établi et a décidé de créer sa propre entreprise pour subsister en tant que sédentaire – ce qu’il n’avait plus été depuis très longtemps. Ainsi naquit « Magic comes with a price », sa boutique de magie où il fit le pari de proposer divers accessoires pour magicien débutant et même pour ceux qui pourraient se penser experts. Et puis, tout devint plus clair dans son esprit ce 4 mai 2021. Lorsque les idoles qu’il révérait autrefois apparurent sur la grande place de la capitale grecque, Azarias observa ce spectacle sans ciller mais en son for intérieur, il avait conscience de tous les changements que cela allait désormais impliquer. Le retour des dieux ne changerait absolument rien à ses ambitions mais il s’agissait là d’un événement assez important pour être pris en considération car, il en a tout de suite été persuadé, rien de tout cela n’est anodin…