Ce n'est pas n'importe quel anniversaire de mariage (ft. Héra)

Depuis qu'il avait pris la décision de fouler la Terre des pieds, Zeus s'était fait une place de Roi parmi la populace. On saluait ses décisions justes et courageuses, on admirait sa rigueur et on l'admirait. Il savait séduire et pas seulement dans le but d'ajouter une nouvelle conquête à sa très longue liste. Parce que la mythologie ne disait pas tout et qu'il valait probablement mieux que cela reste ainsi, tant cela aurait noirci de pages. Le Dieu du Ciel, maître incontesté de l'Olympe n'avait pas pour habitude de faire dans la sobriété. Il attirait les médias, il en jouait d'une main de maître, manipulant son image pour qu'elle soit toujours à son avantage. Il se pavanait, oui, mais avec parcimonie pour flirter avec le point d'équilibre. Un peu trop d'entrain et il basculerait dans le culte de la personnalité manifeste et caractérisé, ce qui serait dévastateur pour son image. Dans la sphère publique, il s'agissait d'une personne incontournable. Fort heureusement, il ménageait assez bien sa vie privée. Il empêchait les gens de s'immiscer dedans, pour éviter que quiconque ne comprenne les rouages avec lesquels il œuvrait. La seule qui était parfaitement consciente de tout cela, se nommait Héra. De tout le Panthéon, elle restait l'unique personne à laquelle Zeus confierait sa vie s'il y avait lieu. Et tout naturellement, elle connaissait les inquiétudes de son époux.

Époux... voilà un mot qui sonnait faux quand on parlait du maître de l'Olympe, tant il était volage et tant il était malsain avec sa sœur. Zeus l'aimait éperdument, mais à sa façon. Il aimait jouer avec elle, la rendre jalouse, furieuse, punitive. Il exultait de la savoir complètement folle de rage. Et elle avait beau tenter de le cacher sous un calme factice, il savait ce qui se tramait en elle. Il tirait tout son plaisir et toute sa satisfaction de ces provocations incessantes. Pour autant, cela ne l'empêchait pas de manifester, à son égard, des sentiments et de l'amour. Car Zeus n'était pas quelqu'un de vache. Il la bousculait beaucoup, mais il savait aussi se rattraper et lui manifester de l'intérêt, des gestes sincères, d'affection, de complicité. À vrai dire, il soufflait le chaud et le froid. Quoi de tel pour travailler à la création d'un puissant orage, n'est-ce pas ? Aujourd'hui, il se sentait d'une humeur tendre. Dans quelques jours, le bal aurait lieu. Il savait comment s'habiller et il avait déjà préparé ses plans. En attendant, il voulait fêter un évènement important, qu'il n'oubliait jamais : leur anniversaire de mariage.

Certes, il était utile de se demander la profondeur de cet évènement dans la mesure où ils vivaient unis depuis des millénaires. Pourtant, Héra en était témoin, il ne se défaussait jamais et pensait toujours à fêter cet instant. Cela ne remettait nullement en cause son côté coureur de jupons, mais il ravivait ainsi la flamme. Il lui avait préparé une surprise, qu'il comptait bien lui dévoiler. Vêtu d'un costume trois-pièces bleu sombre, mettant en contraste ses yeux plus clairs, il était élégant, comme toujours. Ses vêtements, repassés, lui seyaient parfaitement. Ils épousaient ses formes, ajustés, qu'ils étaient, à sa corpulence massive et musclée. Il portait une cravate d'un noir satiné et des chaussures habillées de la même teinte. Pour lui plaire, il avait subtilement mis son parfum préféré, celui qui faisait toujours son petit effet. Ça aussi, il n'y avait pas à dire, mais seule Héra avait le privilège de le voir fournir autant d'efforts. Avec ses autres conquêtes, bien sûr qu'il faisait attention à lui, pas autant, cependant. Là, chaque détail était mûrement réfléchi pour satisfaire la sublime déesse.

Héra ne tarda pas à rentrer. Il avait tout préparé, dressé la table, en disposant une décoration d'un rouge bordeaux, parsemés de pétales de roses blanches. Il la regarda, non sans se dire que de toutes, elle restait définitivement la plus belle et la plus divine. Il prit les deux verres de kir qu'il avait préparé et s'approcha, une fois qu'elle fut à l'aise.

- Bonsoir, ma Reine. Et bon anniversaire. Je nous ai préparé une soirée toute particulière, qui devrait te plaire. Comment s'est passée ta journée ?

D'un geste assuré, à la fois doux et en même temps quelque peu sauvage, il lui donna l'un des verres et vint déposer ses lèvres légèrement sucrées sur les siennes, pour l'embrasser avec amour. Ce soir, ce serait leur moment et il n'était pas question de la titiller pour qu'elle s'agace. Il s'y refusait, pas parce qu'il avait une idée derrière la tête, mais simplement par principe. En vérité, quiconque tenterait un jour de pourrir leur anniversaire de mariage finirait déchiqueté en mille morceaux par une explosion d'éclairs. Zeus ne plaisantait pas avec le respect et l'autorité. Il avait laissé derrière lui suffisamment de cadavres en lambeaux, pour le rappeler à n'importe quel être sur cette planète.

- Jamais, en effet et tu sais combien il compte pour moi. Je tenais à ce que nous le célébrions comme il se doit.

Il existait beaucoup de situation dans lesquelles Zeus jouait un rôle. A vrai dire, avec beaucoup de gens, il ne donnait toujours qu'une image altérée de lui-même. Héra devait bien être la seule à le connaitre sous ses multiples facettes et à comprendre ce qui se cachait derrière les nombreux personnages qu'il incarnait. Zeus n'était pas un livre ouvert pour tout le monde. Il ressemblait davantage à un puzzle à la complexité extrême. En définitive, celle qui s'avérait capable de résoudre l'énigme, partageait sa vie pour l'éternité. Hélas pour elle, dans les meilleurs moments comme dans les pires. Parce que si en jour de leur anniversaire de mariage, il se montrait sincère, il ne s'écoulait pas une semaine sans qu'il lui ne lui fasse fondre un fusible de jalousie. Héra était la déesse du mariage et de la fidélité. Quoi de plus excitant que la rendre folle, en s'en prenant à son essence même ? Un jour ou l'autre, il finirait par le regretter amèrement, mais en attendant, il jouait de la situation, il prenait un grand plaisir à la faire vriller. Non seulement Héra était encore plus belle quand elle se faisait jalouse, mais en prime, elle redoublait d'ingéniosité pour le garder près d'elle. Le magnétisme existait entre eux, presque animal. Ils alternaient chacun dans le rôle du lion et de la gazelle. Cela duraient depuis des millénaires. Le plus important à retenir, c'est que Zeus finissait toujours par revenir auprès d'elle. Une fois son amusement contenté, Héra devenait son foyer, son âme sœur, sa flamme dans les ténèbres. Elle lui était autant précieuse que son foudre. Dans les faits, on pouvait trouver bien ironique qu'il célèbre le jour de leur union, alors même qu'il piétinait les principes sacrés du mariage à la moindre occasion. Et pourtant, c'était tout un symbole. Personne n'avait le droit de perturber le monde en cette journée spéciale. Quiconque s'y risquait connaîtrait un destin bien pire que celui de Prométhée. Même les Moires ne doutaient pas de la cruauté du maître de l'Olympe.

- En ce qui me concerne, je me suis désintéressé du travail. Le monde peut bien attendre une journée que je me décide à le considérer, n'est-ce pas ? J'ai ainsi évité les tracas et les contrariétés. De toute façon, le moindre être qui oserait gâcher ce jour pâtirait tellement de ma colère qu'il serait rayé de façon définitive de l'Univers. Même un banal caillou le sait. Nous aurons donc la paix !

Jamais de doutes. Toujours des certitudes. Cela faisait partie de sa marque de fabrique. Zeus était prétentieux, vaniteux, orgueilleux. Il ne s'intéressait qu'à ce qui lui procurait plus de pouvoir, parce que sa puissance avait autrefois suffi à libérer ses frères et sœurs. Les voyait-il plus faible que lui ? C'était évident. Même Héra qui avait finie engloutie lui semblait inférieure. Mais parmi la fratrie, elle était surement celle capable de prendre le relais si un jour, il finissait par disparaitre. Car Zeus avait conscience que leur immortalité restait relative. Il étudiait suffisamment les mythes pour savoir qu'à tout moment, leur suprématie pouvait être renversée. Et si lui se retrouvait dans l'incapacité d'agir ou pire, s'il n'existait plus du tout, Héra saurait mener les Olympiens vers la victoire. Le lui avait-il déjà dit ? Non. Il n'aimait pas faire de compliment. En revanche, tout dans son attitude à son égard en témoignait. Quand il parlait de l'Univers, du Destin, Zeus ne le faisait ni avec Hadès, ni avec Poséidon, Hestia ou Déméter. C'était toujours Héra, rien qu'elle. Autre preuve de sa considération ? Il s'était marié à elle. Il avait lié sa vie à la sienne, lui, le Roi des Dieux. Difficile d'imaginer qu'il avait épousé la première des femmes ou quelqu'un de banal et d'insignifiant. Se fardant d'un sourire bienveillant, très rare sur son visage anguleux, il lui dit :

- Je ne peux rien te cacher, ma Reine. Les préparatifs ont été nombreux, certes, mais ce que j'apprécie c'est justement de fournir tous ses efforts pour toi et uniquement pour toi. Il n'y a que nous deux qui existons aujourd'hui. C'est notre jour.

Une démarche aussi élégante que sûre de lui, il s'approche pour s'installer sur le fauteuil face à elle. Il se penche pour prendre doucement sa jambe et la mettre sur son genoux. Le contact de leurs peaux l'électrise. Il raffole de cette sensation. Héra est déjà belle, tant et si bien qu'il estime qu'elle n'a pas besoin d'un rafraîchissement. Il prend soigneusement son pied qu'il commence à masser avec douceur, plongeant ses yeux azurs dans les siens.

- Te souviens-tu de ce qui a suivi la cérémonie ? Nous étions dans le belvédère de notre palais. Tu étais précisément ainsi. Je te massais le même pied... laisse-moi te rafraîchir la mémoire.

Il y eut un crépitement d'énergie autour de lui, puis soudainement dans un bruit de tonnerre retentissant, ils disparurent de leur salon. Une bourrasque agita quelques pots de fleurs, sans les renverser, alors que le silence retomba. Ce fut sur l'Olympe qu'ils réapparurent. Plus précisément dans un magnifique belvédère en marbre blanc, orné d'orichalque. La coupole offrait une vue panoramique de la résidence divine. Au loin, on pouvait apercevoir le faste et la beauté des résidences de chacun. Derrière eux, sur le point le plus haut, dominait leur palais. Tout y était grand. Logique, puisque Zeus l'avait fait construire par les Géants, avant que ceux-ci ne succombent à la perfidie de Gaïa et ne les attaque. Autrefois, les titans vivaient en ces lieux, mais méticuleusement, le Maître de l'Olympe avait fait effacer toute trace de leur passage. Il n'existait aucune considération, ni place pour les vaincus. Ainsi raisonnait le nouveau patron de cette montagne sacrée. Les fleurs d'ambroisie dégageaient une odeur de nectar sucrée très agréable. Assis face à l'autre, Zeus continuait son massage de façon méticuleuse.

- L'Olympe, pour nous seuls. Calme et reposante. Je ne t'ai jamais demandé quelle était ta partie préférée de notre palais, si tu en as une, d'ailleurs.

Zeus esquissa un sourire en écoutant Héra parler des détails de leur mariage. Cette nuit là, l'Olympe avait été le théâtre de toute la passion dont le Roi des Dieux était capable. Et ce qui avait précédé leur instant de rêve, restait un souvenir intact dans tout son être. Il claqua des doigts pour faire apparaitre la fameuse lyre enchantée dont son épouse avait parlé. Et dire que cet abruti d'Apollon pensait l'avoir inventé... Ca faisait sourire Zeus de voir sa progéniture adultérine penser être le concepteur d'un instrument. Un jour, il lui dirait peut-être la vérité, pour lui casser son égo surdimensionné, lui fait comprendre que s'il avait hérité de la musique et des arts, ça n'était certainement pas parce qu'il y était destiné mais parce que son paternel l'avait bien voulu. D'ailleurs, globalement, chacun avait tendance à croire en ce moment qu'être Dieu était un dû et que cela n'impliquait rien en retour. Un jour, quand la colère prendrait Zeus, chacun et chacune allait se faire remettre en place proprement et méthodiquement. Ils se pensaient tous protégés et agissaient avec impunité, manque de respect, voire même parfois, d'obéissance. Sans être tyrannique, Zeus laisserait faire jusqu'à un certain point. Ensuite, il serrerait la vis et il y avait fort à parier que ça fasse très mal. La seule qui passerait entre les mailles, c'était Héra. D'ailleurs, de tout le Panthéon, elle était la seule dont il n'essayait jamais de contrôler les faits et gestes. Il n'en avait pas besoin. Elle était complémentaire, sa boussole et son écho millénaire. La seule dont il acceptait la rébellion. Elle en devenait si belle quand elle lui disait non. Zeus adorait jouer avec la flamme de leur amour. Un jour il soufflait dessus pour déchainer le volcan, l'autre jour il l'alimentait pour exploser les étoiles. Ce soir, ils célébraient le moment le plus important de leur vie. Le seul, selon l'avis du maitre du Foudre, qui vaille la peine d'être gardé.

- Cette nuit là a été inoubliable. L'Univers tout entier a su que nous étions unis. Encore aujourd'hui, il en garde mémoire.

Un sourire apparut sur son visage. Il n'était pas malsain ou de mauvaise augure, comme d'ordinaire. Non, Zeus était simplement heureux. Mine de rien, ça n'arrivait pas souvent. Cloisonné dans une apparence froide et calculatrice, le dernier fils de Cronos ne laissait filtrer aucune blessure. Jamais. Même avec Héra, il ne parlait pas de son vécu. Et si son épouse n'avait pas l'occasion de mettre le sujet sur la table, elle savait, sans qu'il n'y ait besoin de le dire que la personnalité de son mari était intimement lié à son enfance. Comme elle, il n'avait pas été aimé par un père. Et s'il put grandir dans le secret, elle fut engloutie, prisonnière, neutralisé pendant de longs siècles. Si l'on suivait les mythes, on pouvait aisément comprendre qu'un être, élevé pour renverser son père, éduqué comme un guerrier impitoyable, centre de toutes les attentions, privé de l'innocence de son enfance, propulsé comme un sauveur héroïque puisse à un moment donné ne pas être tout à fait sain d'esprit. Il fallait composer avec, ce qu'Héra faisait avec dignité et respect. Elle avait évoqué les jardins. Zeus connaissait déjà sa réponse. Il voulait simplement l'entendre parler de ce lieu emblématique. Quand Zeus l'avait fait construire, il ne lésina sur aucun détail. Ici, pas de clôture, pas de chaine. Les végétaux poussaient avec magnificence, baignant dans l'anarchie de la nature. chaque fleur s'y trouvant signifiait quelque chose. Les magnifiques lys blancs étaient un hommage à sa Reine. Les grenadiers aussi. Des paons parcouraient régulièrement l'endroit. L'eau des multiples fontaines avait été synchronisées de sorte que la musique qui s'en échappe soit dans les goûts de la Déesse. Les belvédères comportaient tous un diadème royal et un sceptre. Et sur chaque fronton, leurs deux initiales entremêlées scellaient leur amour. Deux aigles se posèrent non loin.

- Que souhaites-tu boire, ma Reine ?

Entre les serres des aigles, apparurent un plateau, tenu de chaque côté, dans lequel je trouvais plusieurs boissons divines et humaines. Continuant le massage de ses pieds, il remonta doucement sur ses mollets. Les gestes étaient doux, attentionnés. Héra était le centre de toute son attention. Pas d'envie de la mettre en rogne, pas de jeu du chat de la souris. Simplement eux, seuls, sur le Mont Olympe, coupés du monde pour des heures. Les masques étaient tombés. Les attitudes devenaient authentiques.

- Pour ma part, je ne te l'ai jamais dit, mais l'endroit que je préfère n'est pas la salle du Trône. C'est notre balcon... Quand les rayons du soleil viennent lécher ton corps alangui et endormi... ils démontrent que tu es la plus sublime d'entre nous. J'adore te regarder depuis l'intérieur de notre chambre, sans que tu ne t'en doutes. Chaque pièce de ce palais reste fade quand tu n'y es pas. Mais je ne peux m'imaginer ce balcon vide. Le spectacle y est si saisissant et si sublime, que je suis prêt à me damner pour y assister jusqu'à la fin des Temps.