It blows my ass, but i need help (ft. Hadès)

Il en coûtait beaucoup à Apollon de demander de l'aide extérieure. Question de fierté personnelle. Il n'entendait pas s'abaisser à admettre qu'il devait faire appel à quelqu'un pour se sauver les fesses. Les inviter à venir s'en occuper autour d'une belle orgie, ça pourquoi pas ? Mais reconnaitre qu'il ne pouvait pas se débrouiller tout seul pour un problème personnel, en revanche, ça le révulsait. Ce n'était pas ainsi que son ADN fut paramétré à sa naissance. Si tant est qu'il ait des gênes, en tant que Dieu. En tout cas, il ne demandait jamais d'aide, et s'il le faisait, c'était généralement avec une contrepartie. Tu me rends un service et je t'en rends un en retour, nous sommes quittes et nous en restons là. En gros, un échange de bons procédés entre personnes adultes et consentantes. Un peu comme une partie de jambes en l'air, qui n'aboutissait à rien d'autre si ce n'était qu'à contenter les protagonistes. De mémoire divine, Apollon exécrait l'idée même d'admettre qu'il était en difficulté. Il ne voulait pas que d'autres le voient dans une position de faiblesse. C'était beaucoup trop pour son égo surdimensionné ! Déjà qu'il se vexait quand on le comparait à la Pythie, qui était pourtant sa créature, il ne lui en fallait pas beaucoup pour vous maudire si vous portiez atteinte à sa sacro-sainte Splendeur.

À aucun moment, Apollon n'aurait pensé qu'une simple entrevue dans la forêt pouvait être responsable de ce qu'il subissait. Cette orgie en pleine nature avait si bien commencé ! Il ne se doutait pas qu'il ferait un malaise à cause d'une prophétie le concernant, et qu'il se réveillerait au petit matin, abandonné dans les bois, sans ses vêtements, pour tomber face à face avec la plus belle créature mâle qu'il ait vu depuis des générations. Au club, il avait inventé un jeu de rôle, dans lequel il demandait à quelques hommes bruns de jouer le mystérieux homme de glace, pour simuler des actes sexuels dans lesquels il alternait avec dominant et dominé, pour essayer d'entretenir son fantasme. Ce n'était pas une belle réussite, parce qu'il en ressortait insatisfait ! La nuit, tel un adolescent en pleine proie avec ses hormones, il se réveillait maculé de sa propre semence, tandis que les images érotiques de ses pensées l'obsédaient de plus en plus. Mais ça n'était pas pour une histoire de déboires hormonaux qu'il allait voir Hadès aujourd'hui. Son oncle n'était pas très friand de ce genre d'anecdotes. Aussi, Apollon prenait un malin plaisir à lui en parler, juste pour créer de la gêne et se fendre la gueule. Sauf que là, il n'avait pas la tête à plaisanter, le Dieu des arts... il venait demander un service au Roi des Enfers et lui proposer quelque chose en échange.

Quelque chose ne tournait pas rond chez le porteur de soleil. Physiquement, il était toujours d'une beauté extravagante et d'un rayonnement céleste. Fidèle à lui-même, il participait à toutes les fêtes, osait des choses que peu s'autorisaient, à tort. Depuis sa rencontre avec Sylvestre, sa main directrice, la gauche, portait un gant qui remontait jusqu'à la moitié de son avant-bras. Pourquoi ? Officiellement, pour rendre hommage à ce bon (pas vieux) Michael Jackson. En vérité, la raison était tout autre. Il s'accommodait de cette version pour ne pas perdre la face. Sous le gant, se terrait un secret, un mal qu'il ne parvenait pas à guérir. Une blessure qu'il n'aurait pas cru possible et qui l'inquiétait, même s'il n'en montrait rien. Sa main était douloureuse, pour taire la souffrance, il se bourrait d'opium et de morphine, parfois, il associait les deux ce qui aggravait les effets des prémonitions. Il testa quasiment tout, jusqu'à en venir à l'inéluctable : il n'était pas capable de soigner ce mal. Rien de ce qu'il connaissait ne fonctionnait. Il lui aurait fallu les pouvoirs d'un vrai Dieu de la Médecine. Or, celui-ci avait existé. Asclépios était son fils. Mais il croupissait dans les Enfers, aux Elysées, parce que Zeus n'avait pas aimé qu'il fasse revenir un mort à la vie.

Impossible de recevoir l'aide de quelqu'un qui passait son existence dans le lieu solidement défendu par Cerbère. Cependant, il existait bien une solution, un peu tordue, mais qui pouvait marcher. Aller voir Hadès et lui demander de parler à Asclépios pour connaître un moyen de cautériser son mal. De purifier la malédiction... si c'était possible. Apollon avait demandé à son oncle de le rencontrer en privé, sans personne autour d'eux et dans un endroit paisible. Rien de tel pour cela que le cimetière d'Athènes. Pour une fois dans sa vie, Apollon était habillé sans fioritures. Pantalon noir, chemise noire, le tout emballé dans un pardessus noir. Il avait mis un béret gris, affichait une barbe et des cheveux blancs, décolorés par ses soins. Il ne voulait pas que quiconque puisse le reconnaître. Rien que le fait de demander à Hadès de l'aide lui coutait énormément. Il garda ses lunettes de soleil, jusqu'à ce que le Roi des Enfers n'entre dans son champ de vision. Il se précipita vers lui et d'un geste, il le bouscula pour le faire entrer dans un caveau. Il observa à droite et à gauche pour s'assurer qu'ils n'étaient pas surveillés et se tourna vers son oncle en plissant les yeux. Il murmura :

- Bonjour tonton... Si quelqu'un te demande, tu ne m'as pas vu aujourd'hui. Je vais bien et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Jure-le-moi sur le Styx.

Cela ne ressemblait pas à Apollon de faire dans la discrétion et cela devait probablement aider à alerter Hadès sur le fait que quelque chose de grave arrivait à son neveu. Celui-ci eut un nouveau regard vers l'extérieur du caveau. Ils étaient à l'étroit ici, clairement. Impatient, il le pressa :

- Jure-le !

- Chut !!! Bon sang pas si fort !!! On va nous entendre !!!

Nerveux, Apollon regarda à l'extérieur. Il n'y avait pas un chat et clairement, les morts étaient loin, très loin, de pouvoir capter quoique ce soit ! Encore que, avec Hadès dans les parages, rien n'était garanti ! Il pressa son oncle de jurer sur le Styx que tout ce qui émanerait de leur conversation resterait secret. Il ne voulait pas que qui que ce soit apprenne qu'il avait été blessé, très bêtement en plus, puisqu'il s'était mutilé comme un grand ! Et encore moins qu'il était incapable de se guérir par lui-même. Il entendait donc requérir l'aide de son oncle, seul être capable de communiquer avec Asclépios, son fils tué par Zeus. Dans les faits, il avait confiance en Hadès, davantage qu'en son propre père. Mais dans les moments de faiblesse, où sa perfection était remise en cause, il lui arrivait hélas de perdre pied et de faire des choses inconsidérées ou illogiques. Lui qui d'ordinaire était un dieu réfléchi et plutôt intelligent, il pouvait devenir, disons le mot, très con quand il paniquait. Au point que ça aggravait parfois son cas, d'ailleurs. Il jeta un dernier regard à l'extérieur et il montra sa main gantée à son oncle. À part le faire ressembler à Michael Jackson, vivant, il était difficile de comprendre où il voulait en venir.

- J'ai un problème avec ma main... je me suis emparé de quelque chose que je n'aurais pas dû... et ça a enflé.. c'est bizarre, la couleur, la texture... je n'ai jamais vu ça...

Connaissant le personnage et compte tenu de son propos, Hadès pouvait très bien imaginer quelque chose de sexuel. Après tout, on parlait d'Apollon... Il possédait une réputation de véritable obsédé du cul, et avait de quoi faire pâlir Éros lui-même ! Ça, c'était ce qu'il renvoyait comme image et ça lui convenait très bien. En réalité, oui, il était épicurien, hédoniste, bien branché sur le sexe, mais il cachait son jeu. Il préférait qu'on le prenne pour un queutard déluré et stupide. Ça lui permettait de bien poser son service trois-pièces sur la table après, en prenant de court tout le monde. Ce n'était pas un hasard si les affaires de l'Hédonia fonctionnaient aussi bien ! Parmi la pléiade de divinités du Panthéon, celle qui n'était pas dupe, c'était justement Hadès. Plus d'une fois, il avait eu affaire à Apollon intelligent et malin. Et plus d'une fois, il avait été un peu la victime des stratagèmes du blond, pour lui soutirer quelques informations. Il n'en avait pas pris ombrage, et sans bomber le torse, le dieu des arts aimait à dire qu'il le savait pertinemment. Celui que beaucoup craignait ou snobait parce qu'on le décrivait comme taciturne et plombeur d'ambiance, trouvait grâce aux yeux d'Apollon. Non seulement il était brillant, mais en plus, il agissait comme un père. L'affection entre eux deux restait palpable. La confiance aussi. Il retira son gant pour dévoiler sa main, dont l'état était à la fois préoccupant et affreux, quand on connaissait l'importance qu'Apollon portait à l'esthétisme.

- Je suis blessé... et je n'arrive pas guérir. J'ai tout essayé, tout ce que je connaissais, à part l'amputation. Mais ça va mettre des semaines à repousser et ça va se voir... C'est douloureux... Tonton, je n'ai jamais vu ça et je ne te demanderais pas de l'aide si je n'avais pas peur.

Il posa ses yeux sur sa main, en grimaçant légèrement.

- J'ai... peut-être... touché la pointe d'une flèche de glace et... je ne pensais pas que ç'aurait cet effet. Je me disais que tu pourrais certainement demander à Asclépios. Je ferai ce que tu voudras en échange. Il doit bien connaître le mal qui m'affecte. Je l'espère... j'ai tenté de consulter l'Oracle, mais cette saloperie de pouvoir ne veut pas m'aider au moment où j'en ai le plus besoin ! Comme par hasard !

Apollon n'allait pas dire à son oncle que cette blessure était le résultat de sa stupidité et de son manque criant de prudence. De quoi aurait-il l'air s'il expliquait au Maître des Enfers qu'en réalité, il avait simplement ramassé la flèche et s'était piqué le doigt lui-même dans l'unique but de fanfaronner devant cet être de glace ? Il n'était pas question de passer pour un abruti. Le Dieu des Arts fournissait déjà un effort surdivin pour demander de l'aide comme il le faisait, il n'avait aucunement l'intention d'en rajouter une couche. Inventer une histoire qui tenait la route ne fut guère compliqué. Il était habitué à l'exercice. N'était-il pas le patron des arts, y compris de l'écriture ? Il s'appuyait sur les Muses depuis tant d'années qu'il restait particulièrement attentif à tout, y compris aux détails indispensables à l'élaboration d'un mensonge. De toute façon, ses altérations s'inspiraient toujours d'un bout de vérité.

- Peu importe quand et où... ce n'était pas intentionnel. J'ai organisé une orgie et... enfin, tu sais, l'alcool, la fête, il y a eu une maladresse et je me suis blessé. Mais je ne parviens pas à me guérir. Ça me fait mal et j'ai même l'impression que ça empire...

En parlant d'orgie, Apollon savait que son oncle ne poserait pas plus de questions sur le sujet. D'une part parce que de sa bouche, tout était parfaitement normal. La réputation très libertine du dieu solaire le précédait. D'autre part, il valait mieux éviter de faire référence aux frasques du dieu, au risque d'avoir droit à tous les détails. Apollon aimait le sexe au point qu'en avoir fait son 69ᵉ art. Oui, oui... 69ᵉ... pour sublimer la symbolique. Cette personnalité délurée pouvait paraitre grossière, animale, déplaisante, mais jusqu'à présent, Apollon n'avait jamais forcé personne. Insisté, oui... parfois de façon plus ou moins subtile. Héraclès avait eu affaire à ses avances passionnelles et peu habiles. Une fois, alors qu'ils avaient simplement prévu de passer du temps ensemble dans l'une des fêtes foraines humaines, le fils de Leto fut frappé d'un désir ardent pour cet éphèbe qui venait de lui gagner un dauphin en peluche au grappin. Il lui sauta dessus et l'entraîna dans le train fantôme où dans les décors, pratiquement à la vue des gens, il lui fit sa fête pour le remercier. L'Hedonia possédait de toute manière une réputation solide. Il était le théâtre de ses frasques, sa forteresse du cul et de la baise. Les gens venaient d'abord pour ça et ensuite pour profiter de l'alcool, de la nourriture et du décor. À Athènes et ses environs, c'était LE lieu où se rendre. Une réputation qui se répandait aussi à l'international. Apollon pouvait en tout cas être sérieux, malgré cet aspect de sa personnalité. Il hocha la tête :

- Tes conditions sont les miennes. Et je sais déjà ce que tu vas me demander, mon oncle. Je veillerai sur elle, je te le promets.

Les gens, tout comme les olympiens, avaient tendance à oublier qu'Apollon possédait un don de divination. Une malédiction pour lui, qui provoquait des migraines horribles et extrêmement intenses. Il ne pouvait pas le maîtriser comme ses autres pouvoirs. Ça lui tombait dessus. Il avait vu toute cette scène. C'était bien pour ça qu'il était venu en ce lieu, donnant rendez-vous à son tonton préféré. Il ne gardait pas un souvenir limpide de tout, et heureusement ! Mais le serment d'aider Hadès à protéger Luna en retour de son geste pour qu'il retrouve Asclépios, ça ne lui posait aucun problème. Le dieu des Enfers ne le savait pas encore, mais en lui demandant ça, il le mettait en mauvaise posture. En effet, Apollon voyait l'avenir, avec plus ou moins de clairvoyance. Protéger Luna, ça voulait dire qu'il risquait de s'interposer entre Zeus et elle. Car de toutes les divinités du Panthéon, s'il y en avait bien une qui l'inquiétait, c'était son père. Ce dernier se montrait imprévisible, secret, sournois... capable du meilleur comme du pire. Il lui devait sa loyauté, mais si un jour, il lui imposait de choisir un camp, Apollon ne serait peut-être pas dans le sien. Le chaos et la destruction, déjà aperçus dans ses visions, le laissaient fou d'inquiétude. Il avait beau savoir que les Moires aimaient tisser le destin avec de multiples canevas, et qu'elles gardaient le plus beau d'entre eux à leurs yeux... cela n'avait absolument rien pour le rassurer. Son trouble intérieur, il ne le montra pas. Il se laissa transporter aux Enfers où, du reste, il s'était déjà rendu, pour négocier avec Hadès, par le passé.

- J'apprécie toujours autant cet endroit, tonton. C'est d'une beauté...

Et si Hadès savait combien ça allait être sublimé par la présence de Luna à ses côtés... Il écouta studieusement le propriétaire des lieux. Il savait depuis longtemps qu'Asclépios reposait aux Champs-Élysées. Et il en avait eu maintes fois confirmation, quand il s'était enquis de son fils auprès du Dieu. Le destin dramatique son aîné lui rappelait combien sa vie pouvait parfois être injuste. Sa progéniture, Apollon y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Il était un très bon père. Et pourtant, il revenait quand même de loin. Sans la présence de Leto, lui et Artémis seraient sûrement deux êtres sauvages, incapables de sociabiliser. Pas très étonnant, quand on avait l'autre connasse d'Héra sur le dos, prête à vous tuer avec sa perfidie légendaire et que leur père était Zeus. Certes, il aimait son paternel, mais il ne pouvait pas dire qu'il le prenait pour exemple. Le Maître de l'Olympe possédait une façon très malsaine de faire enrager son épouse, et pique encore, il ne ratait jamais une occasion de distiller les graines du chaos et de la discorde. Éris était d'ailleurs sa fille préférée, avant Athéna. Arès s'avérait également être en très bonne place dans ses petits papiers. Quant à lui, il restait le "soldat" fidèle, sur lequel garder un œil puisqu'il était capable de voir les affres du destin. Un pouvoir que Zeus possédait lui aussi, mais qui semblait moins précis et moins loquace. Avec une telle base, il pouvait paraitre surprenant qu'Apollon soit protecteur et tendre avec ses enfants. Et pourtant, c'était bien le cas. Il n'avait laissé aucun, ni aucune à l'abandon, les élevant avec la même passion qu'une inspiration artistique.

- Il n'est pas comme nous, c'est un élémentaire... Il s'appelle Sylvestre. Oh si tu voyais comme il est beau... brun, le teint hâlé comme un Perse... non, comme un Ibère pour être précis. Il a des traits fins, mais virils... un regard splendide. Et je ne te parle même pas de sa maîtrise de la glace... Bon sang... s'il avait pu troquer sa flèche pour son beau pic...

Rêveur, Apollon passa sa main valide dans ses cheveux en se mordant la lèvre inférieure. L'espace d'un instant, il en oublia qu'il se trouvait dans la salle du trône d'Hadès.

- Il a une belle âme, tu sais... et toute cette histoire, ça n'est pas sa faute. Je ne cherche pas à me venger... et je te demande de ne pas en faire de même. Je crois que je l'aime... autant que j'aime Héraclès... Asclépios a toujours trouvé un remède... même à la mort. Je lui confierai ma vie sans hésiter... et d'ailleurs, je te remercie tonton, de prendre soin de lui... Il me manque. Savoir qu'il est en paix et heureux ici me réchauffe le cœur... Il ne méritait pas ce qu'il lui est arrivé...

Son sourire amoureux s'était transformé en moue de dépit. Apollon soupira et regarda le sol. Même après tous ces siècles, la perte de son fils le peinait. Cela transparut immédiatement à son éclat, brillant d'ordinaire et pourtant si terne, en cet instant.